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[July 26 2011]

TUNISIE, APRES #6 – UNE CHRONIQUE DE MEHDI BELHAJ KACEM

Départ pour Sidi Bouzid. Je comprends pourquoi enfant j’ai tellement aimé les westerns de Sergio Leone. Dans les classiques du cinéma américain, tout était propre, John Wayne rasé de près et gominé, le paysage sans un gramme de crasse. La Tunisie ressemble tout entière à un paysage léonien. Les gares désertes où on se fait harceler par une mouche pendant de longues minutes. Les bus suintants d’essence et bringuebalants. Le désertique. Les saloons, même sans alcool. Les cactus, figues de barbarie en plus. L’odeur de sueur, de merde, d’ordures en putréfaction accélérée par la chaleur. Moi qui me rase tous les jours, ici c’est tous les trois jours, comme Clint « Le manchot » Eastwood. A ceci près que, comme Johnny Guitar est le seul heros dans un western qui ne porte pas de revolver, j’ai troqué le Smith & Wesson contre un Ricoh digital. Johnny Médard, Mehdi Guitar.

En Tunisie il y a, proportionnellement, autant d’ordures qu’ailleurs, sauf qu’ici on les voit. Partout, pareil qu’à Tunis. Et, après la Révolution, deux fois plus qu’avant. Le Tunisien ne sait pas ce qu’est un trottoir : il marche toujours dans la route ou la rue, si ce n’est au milieu. En sorte qu’ici tout ce qui est « technique » se distingue à peine de ce qui est « naturel » : les voitures sont comme des sortes de bourricots, les vélos de moutons, etc. La moitié de la Tunisie est recouverte d’oliviers : ça me fait penser aux paysages d’Israël et de Palestine. Aux Tunisiens qui me demandaient: « à quoi ça ressemble Tel Aviv, Haïfa… ? » Je répondais : « c’est exactement comme Tunis, sauf que tout est écrit en hébreu ». Quand à Ramallah ou Naplouse, inutile même de comparer, on s’y croirait. Surtout en ce moment, avec les chars et soldats partout, encore plus frappants que les flics auxquels on s’était habitués (120 000 policiers, autant qu’en France, sauf pour dix millions d’habitants en Tunisie). Western…

Ca fait longtemps que j’y pense : le langage, ordurier, partout, pire que dans le gangstarap le plus hardcore ou film américain trash. Un seul film où on entendrait la façon dont les gens parlent dans la rue serait un coup bien plus dur pour l’islamisme que toutes les bonnes pétitions de principe : toutes les trois secondes, et je n’exagère pas, le tunisien moyen prononce « z.b », « n..ke », « je n..ke la religion du z…..r de ta mère », etc. Les femmes appellent ça pudiquement « les virgules ».

Les objets, qui en disent décidément plus long sur les gens d’ici que les gens directement.

Plus on s’enfonce au cœur de la Tunisie plus la bouffe est outrageusement pimentée. Je prolonge mes séjours, cette fois-ci dans Kairouan, au gré de l’envie et de l’inspiration.

Je prends décidément goût à dormir n’importe où.

Photo and text Mehdi Belhaj Kacem

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