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[July 22 2011]

TUNISIE, APRES #5 – LA CHRONIQUE DE MEHDI BELHAJ KACEM

Mon grand-père maternel (français), qui par métier avait traversé les trois quarts de la planète (littéralement), disait toujours que les deux pays où la lumière était la plus belle étaient le Pérou, et la Tunisie. Paul Klee disait qu’il avait découvert la couleur en Tunisie. Il faudrait retrouver ce qu’en disait Flaubert… Au cap Bon, c’est encore plus vrai qu’ailleurs.

Arrivée chez mon père, qui habite une belle maison très isolée, entre les menues montagne du cap Bon et la mer. Depuis la campagne corrézienne, la première fois que je trouve un lieu aussi calme. Contraste saisissant avec la capitale. On discute. Il me dit que les Islamistes ont été souvent en contact avec les autorités américaines, lesquelles espèrent instaurer un état islamiste « présentable » en Tunisie. Jeu de dupes et désastre annoncé. L’extrême-gauche trotskiste, me dit-il (Hammami, homme respectable) joue aussi un jeu louche avec les Islamistes.

Pour un anarcho-situ comme moi, extrême curiosité de faire l’expérience immanente, et non idéalisée, d’une société civile sans Etat. Et l’extraordinaire est que ça tienne, même si fort normalement les tunisiens et plus encore les tunisiennes voient d’abord les inconvénients, « l’insécurité », etc. Rumeurs d’agression islamistes contre les femmes en maillot de bain à Hammamet, ville touristique numéro un, où comme ailleurs il n’y a presque plus, pour la première fois depuis trente ans, que des tunisiens. Je les soupçonne tout de même, à ce que je vois et ressent, de minauder un peu. Bien sûr, moins d’argent cette année en perspective (mais les pauvres, ceux du centre tunisien dont tout est parti, sont de toute façon les exclus de l’impérialisme touristique, donc ils s’en tapent), mais il est évident qu’ils sont contents de passer un été entre eux. Pas de xénophobie, mais sans doute une envie inconsciente à ce que le tourisme devienne autre chose. Un ami au look « Che » si répandu ici risque l’expression de « tourisme révolutionnaire »… à creuser !

Ce que tout le monde ressentait : cette Révolution est l’événement le plus important du monde arabe depuis la décolonisation. C’est une décolonisation à la puissance 2. Parce que le tourisme est un colonialisme qui n’avoue pas son nom. C’est la grande question, au fond, que ne résoudront pas les stipendiés islamistes : qu’est-ce qui va prendre la place du « tourisme » ? Comment faire venir les gens autrement que sous cette forme néo-colonialiste ?

Blague répandue ici : deux français discutent de la Révolution. « Chéri, tu as vu ce qui se passe en Tunisie ? –Oui, c’est extraordinaire. –Mais au fait, c’est où au juste la Tunisie ? –Tu vois le club Méditerranée ? –Oui… -Eh bien la Tunisie, c’est ce qu’il y a tout autour. »

Photo and text Mehdi Belhaj Kacem

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