[August 14 2011]
Cap au sud à nouveau donc. Crochet quand même par La Marsa, la banlieue aisée de Tunis, où j’ai grandi. Péripéties absurdes pour trouver un hôtel (je m’esquinte les jambes en tombant dans une bouche d’égout mal bouchée), une fois là ambiance « bip-bip, dirladada », plein de touristes… de l’est toujours.
Marches dans les endroits où j’ai grandi. Pincement au cœur devant la maison. Tout a changé dans le quartier, Gammarth supérieur, où se situent aussi tous les hôtels touristiques. Quand j’étais gosse-ado, les trois quart des maisons, des villas bourgeoises pour la plupart —mon quartier était « spécialisé », qui sait pourquoi, dans les couples mixtes, comme mes parents-, étaient comme partout en Tunisie en construction. Maintenant tout est fini. Du coup tout est clean. Avant ça sentait la merde un peu partout, parce que les ouvriers dormaient dans les chantiers mêmes, y vivaient, et il n’y avait pas de WC. Les deux maisons autour de la nôtre étaient des chantiers. Je me souviens d’un ouvrier tuberculeux, horrible. Proustisme inversé scato : l’odeur de merde presque me manque, me rend le quartier d’autant plus méconnaissable.
Tout embourgeoisée qu’elle soit La Marsa ne fait pas d’entorse aux règles ramadan. Presque encore plus mort qu’ailleurs. Sensation de visiter mon enfance comme dans un épisode de Twilight Zone. Le temps se serait arrêté, les gens auraient disparu… cet été sans touristes, ce mois d’août ramadan renforcent la sensation agréablement fantomatique de ce séjour. Je suis une sorte de touriste de l’intérieur, en inclusion exclusive, tandis qu’en France je me sens depuis dix ans en exclusion inclusive. Spirituellement je vis en France, mais physiquement je n’y suis plus
depuis l’été 2003. En Tunisie je suis physiquement comme poisson dans l’eau, mais mon esprit a le droit d’être ailleurs.
Fantôme, oui ; mais ayant appris à l’accepter. Heureux avec. Dialectique algébrique du dedans-dehors France-Tunisie. Ma compagne, plus cent pour cent féminine, a d’autant plus envie de sortir de la Tunisie qu’elle est à cent pour cent dedans en un sens. Et d’entrer en France qu’elle est à cent pour cent dehors. Plus féminine aussi : elle travaille une thèse d’art sur la topologie, je lui ai dit que pour moi, la libido
masculine était algébrique, et la féminine, topologique. Ainsi de nos respectifs rapports aux deux pays.
Le soir ça s’anime, quand même, et même plus qu’ailleurs, surtout niveau jeunesse. Fêtes qui pourraient ressembler à la Tunisie de demain, si tout se passe bien.
Constat : les seules personnes que j’aurais vues un peu régulièrement lors de ce séjour plutôt solitaire, tunisiennes ou françaises, sont toutes dans ou autour du cinéma. Un blog est comme des photos. On n’y peut pas tout y dire, on y dit presque-pas, on fait entrapercevoir par esquisses. Repérages pour un film à venir ; brouillons pour un livre à écrire. Tous les intellectuels et artistes tunisiens ou franco-tunisiens sont sur la réserve, depuis la retombée de l’insurrection. Prudence
de mise. On cherche les mots, les travellings ne dérogeant pas à la morale, les angles, le ton juste ni trop haut ni trop bas. On prend notre temps.
Photo and text Mehdi Belhaj Kacem
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