interview by OLIVIER ZAHM
photography by OLIVIER AMSELLEM
The controversial French architect plays with concrete like a rock musician plays with distortion. Massive walls of darkness and repeated shadowy motifs express his uncompromising aesthetic, a veritable rage against the machine.
OLIVIER ZAHM — Comment abordez-vous 2007 ?
RUDY RICCIOTTI — Avec mauvais esprit et un sabre d’abordage désinfecté.
OLIVIER ZAHM — Vous travaillez beaucoup ?
RUDY RICCIOTTI — Non, je ne travaille que très peu et toujours sur un pédalo.
OLIVIER ZAHM — Une méthode d’inspiration ou aucune ?
RUDY RICCIOTTI — J’élimine et m’inspire de cet état second que transpire le Second Empire d’Emile Zola.
OLIVIER ZAHM — Deux ou trois repères chronologiques de la vie tumultueuse de Rudy Ricciotti ?
RUDY RICCIOTTI — Adolescence en Camargue, pillage de crabes et de palourdes. En 1994, je coule en mer et j’ai le pied coupé en deux. Puis, sur les dix dernières années, j’écris environ 100 lettres d’insultes qui vont être éditées chez Anabet… Et récemment, j’apprends qu’un groupe d’écologistes blancs anglo-saxons et protestants du Marais m’a mis une fatwa sur le dos à cause de mon dernier pamphlet HQE 1.
OLIVIER ZAHM — Deux ou trois repères non chronologiques de la vie non tumultueuse de Rudy Ricciotti ?
RUDY RICCIOTTI — Permis de conduire les navires en mer vers 1990. Chevalier des Arts et des Lettres vers 2000. Chevalier de la légion d’honneur vers 2004. Grand prix national de l’architecture en 2006. Grand vizir de Bandol en 2007… C’est bon là ?
OLIVIER ZAHM — Est ce que vous aimez le Moyen Âge plutôt que la Renaissance ?
RUDY RICCIOTTI — Le Moyen Âge, c’est ça le grand œuvre, comment l’avez vous deviné? C’est mon côté réactionnaire peut-être ?
OLIVIER ZAHM — Pourquoi le blockhaus ?
RUDY RICCIOTTI — C’est mon côté fasciste, lumière rouge et béton noir… Vous parlez sans doute du stadium de Vitrolles. Ça me rappelle cet imbécile de Roland Castro qui disait que c’était une œuvre architecturale fasciste et qu’elle avait fabriqué Mégret. Vous connaissez le syllogisme : « L’homme mange la vache, la vache broute, donc l’homme broute »… C’est ça les intellectuels de Gauche en France !
OLIVIER ZAHM — Pourquoi le béton ?
RUDY RICCIOTTI — Parce que c’est tendre, amical, gentil et sexy. Pas comme cette camelote que les branchés adorent (le plastique, le dampalon, l’aluminium, etc.) où l’accumulation schizo est signe de dope et où les couleurs acidulées sont l’ecstasy du démocrate apeuré !
OLIVIER ZAHM — Pourquoi le béton noir ?
RUDY RICCIOTTI — Parce qu’en noir, il est encore plus antipathique et que ça permet aux mammifères de la famille des équidés aux longues oreilles de braire en stéréo !
OLIVIER ZAHM — Pourquoi le Sud, la Provence, la France ?
RUDY RICCIOTTI — Vous en avez beaucoup de questions comme ça ?
OLIVIER ZAHM — Wu-Tang Clan ou Bob Dylan ?
RUDY RICCIOTTI — Jacques Dutronc car je ne suis ni rap ni pop. Ou alors le poète John Giorno.
OLIVIER ZAHM — Et depuis que vous êtes une rock-star de l’architecture française, c’est différent ?
RUDY RICCIOTTI — Vous voulez savoir si je me porte bien, c’est ça ?
OLIVIER ZAHM — Et la musique en architecture, on parle peu de musique.
RUDY RICCIOTTI — Je n’aime que le rock. Mes idoles sont autant Mick Jagger qu’Alan Vega. Le reste ne m’intéresse pas car je suis hermétique à la culture de pillage commercial des night-clubs avec leur doormen à crânes rasés.
OLIVIER ZAHM — En fait, l’architecte est solitaire ?
RUDY RICCIOTTI — J’aimerais bien être solitaire, or c’est quasiment impossible de nos jours ! Alors arrêtez de me poser des questions en prenant l’architecte pour un thuriféraire niais qui aurait le sourire inspiré de François Hollande… Si vous croyez que je vais vous dire oui, que je travaille dans la sagesse, que je suis anachorète, pauvre, inspiré, sensible, écolo transi, que je souffre de la pauvreté et de toutes les maladies du monde afin d’attendrir, c’est mal barré… Mais parlons plutôt de sexe ou de politique.
OLIVIER ZAHM — Votre architecture parle de sexe, de l’histoire en crise de la sexualité ? Manifestement dans le sombre, du côté de la cruauté, du risque, du danger qui menace le corps social (l’opposé du sécuritaire) ?
RUDY RICCIOTTI — Là vous vous lancez par un saut théorique dans le vide. Oui, l’intérêt c’est d’aller mettre les mains là où il ne faut pas, dans le sale, dans l’obscur, pour tenter d’y retrouver des sensations civilisées. Danser avec le diable pour sentir le corps. Respirer des odeurs et mastiquer des goûts. Le problème, ce n’est pas de vivre des expériences intellectuelles fortes, c’est d’arriver encore à avoir jusqu’aux plus faibles érections de l’esprit. Je refuse de croire que même menacé par le ventre mou du corps social, même épuisé par le politiquement correct des paroliers culturels, même agressé par les bureaucrates fascistes, même sous le contrôle des khmers verts l’on puisse accepter de se résigner. Je sais que le bon plan, c’est de plaire à tout le monde, je sais qu’être contre le sida et contre la guerre dans le monde, est l’affirmation du courage le plus héroïque… Mais par dégoût, je crois que l’instinct de survie oblige à considérer le quotidien dans une globalité révolutionnaire et romantique en croyant encore que le monde est perfectible. La vraie question est d’abord de l’ordre de l’esthétique et du politique et ils seraient ombre portée de l’un de l’autre. Ne voyez-vous pas combien la production hystérique de lien social infantilise chaque jour davantage ? Un « bon blanc » est célibataire, d’extrême gauche, en parka militaire, il roule la cigarette et s’occupe des sans-abris. Un « bon noir » est musclé façon cassage de gueule, politiquement énigmatique et surveille la porte d’accès au coffre en costard noir. À race établie, fonction établie. Le racisme a pénétré de façon générique le spectre esthétique de notre nouveau monde. Qu’en penserait Fellini ?
OLIVIER ZAHM — Et Pasolini aujourd’hui ?
RUDY RICCIOTTI — Vous êtes moqueur, je vous emmerde ! Pasolini, comme Giordano Bruno sont mes héros… Pourquoi est-ce un problème, vous qui dans votre magazine êtes toujours du côté des forces de l’Empire. Purple Fashion cheval de Troie des Anglo-saxons… Repentis va !
OLIVIER ZAHM — Que faire ? Ou que défaire ? Ou bien faut-il arrêter de vouloir dé-construire?
RUDY RICCIOTTI — Vous avez cet humour british coupé Aston Martin, j’adore ! Agnostique aux petites mains ! La déconstruction se soigne avec des neuroleptiques.
OLIVIER ZAHM — L’esthétique militaire comme un acte militant, résistant, provoquant ou simplement esthétisant ? Si vous étiez un esthète en fait ?
RUDY RICCIOTTI — J’y compte bien ! Pourquoi Giordano Bruno, philosophe, homme d’intuition, moine savant brûlé par l’Inquisition, a-t-il fait de son bûcher un acte esthétique total ? Voilà le chemin à suivre. L’esthétique militaire est évidemment un matériau de choix dont il faut préserver les sensibles bien sûr… C’est comme la corrida et les arènes, il ne faut pas y laisser rentrer les chorales, les Français trop sensibles et les Japonais après l’heure du sushi.
OLIVIER ZAHM — Contre les architectes ou contre l’architecture, ou contre tout court ?
RUDY RICCIOTTI — Je n’aime pas tellement l’architecture comme discipline. Les architectes eux me font souvent de la peine car ils morflent sans rien dire. C’est pour ça que j’ai interdit à mes deux aînés ces études-là. Le vrai moment de ce métier, c’est la rencontre avec des vrais gens qui ont des vrais métiers… Les maçons souvent.
OLIVIER ZAHM — Fidélité ou nostalgie à l’égard du monde ouvrier que l’on dit disparu ? Celui de votre enfance, de votre innocence, de votre conscience ?
RUDY RICCIOTTI — Probablement celui de ma mémoire où enfant je déambulais plusieurs heures sans casque le jeudi après midi sur les chantiers. J’enjambais les échafaudages, j’avais dix ans. C’est inouï d’imaginer ça aujourd’hui… Mon père était chef de chantier. Et je garde toujours un souvenir très vif et ému du béton frais et des coups de marteau sur les coffrages. Mes héros étaient ces ouvriers émigrés de la Méditerranée qui portaient l’arrache-clous à la ceinture. Mais je vous la fait musicale là non ?
OLIVIER ZAHM — Bach ou Mozart ?
RUDY RICCIOTTI — Mozart plutôt, Bach me tire les larmes aux yeux et je n’ai pas le courage de résister.
OLIVIER ZAHM — Faire preuve de « courage » à la manière d’un Rainer Werner Fassbinder, d’accord. Mais c’est quoi le geste politique dans l’architecture inféodée aux démocraties municipales ? Quelqu’un à côté de moi demande des exemples concrets —une jeune femme.
RUDY RICCIOTTI — Comment s’appelle-t-elle ? Je veux bien être concret !
OLIVIER ZAHM — Vous parlez d’amour, souvent. À mon souvenir, seul Niemeyer rêvait sensuellement en dessinant ses avenues et parlait ouvertement d’érotisme. Quel est ton érotisme, je veux dire ce que vous fait aimer une femme ?
RUDY RICCIOTTI — Thatcher, Michèle Alliot-Marie, Ségolène Royal, Michèle Torr, Catherine Langeais, les marquises au chocolat et la poire Belle Hélène, toutes me font craquer… Vous ne pouvez pas passer à des questions culturelles ou sociales, genre télé française, afin que je prouve que je suis un bon français moral, propre, humaniste, que même sombre de peau, je suis clair dedans… Presque blanc finalement.
OLIVIER ZAHM — Gerhard Richter ou Richard Serra ?
RUDY RICCIOTTI — Purple Fashion, c’est un magazine intello alors ? Et la question « Dieu vous y croyez ? » : elle vient quand ?
OLIVIER ZAHM — Depardieu ou Devers ?
RUDY RICCIOTTI — Par devers dieu ?
OLIVIER ZAHM — L’architecte construit entre les routes. Que feriez-vous si vous deviez travailler sur une nouvelle autoroute ?
RUDY RICCIOTTI — Je pense que vous arrivez au bout du rouleau et je vous sens usé.
OLIVIER ZAHM — Une ville idéale, un village de rêve ou un quartier chic ?
RUDY RICCIOTTI — L’idéal, c’est le bombardement aérien des lotissements néo-provençaux par une escadrille de migs, le plastiquage des zones commerciales du point de vue Corse, faire passer des chars Leclerc sur les ronds points fleuris, et par principe d’injustice attaquer au marteau piqueur un alignement de dolmens de Karnac pour en finir avec l’entêtement gaulois. Moi je reste un architecte catholique.
Purple Fashion
1 HQE Rudy Ricciotti, Éditions Transbordeurs
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