text by ERIC TRONCY
photography by CHIKASHI SUZUKI
The 17 unique pieces from VICTOIRE DE CASTELLANE’s Belladone Island jewelry collection of Dior Haute Joaillerie push the limits of exception, and cast their spell on art critic Eric Troncy.
Je n’ai pas de fascination particulière pour les diamants, pas d’admiration pour les pierres et les métaux précieux, pas d’intérêt spécial pour les bijoux et, familier des prix des œuvres d’art contemporain, aucune inhibition quant au prix de la haute joaillerie. Je sais, comme tout le monde, que les bijoux sont prêtés aux gens célèbres pour une apparition télévisée ou un festival de cinéma, et cela ne m’encourage pas à les regarder avec bienveillance (on ne prête pas un tableau de Jeff Koons pour un dîner).
Mais les créations de Victoire de Castellane, c’est autre chose, a fortiori cette collection, Belladone Island, qui tire son nom d’un poison naturel (la sève d’une plante) dont les femmes de la renaissance faisaient couler quelques gouttes dans leurs pupilles pour les dilater et mimer l’excitation sexuelle. Le travail de Victoire de Castellane commence avec cette impertinence, qui dit sous une forme poétique l’ambition de faire voler en éclats les conventions d’un secteur d’activité où l’on sait que le quant à soi a toujours tenu lieu d’assurance vie. On ne s’étonnera pas, alors, de découvrir aux sources de son inspiration le personnage de Poison Ivy dans Batman, le pendentif aux vertus maléfiques porté par Mia Farrow dans Rosemary’s Baby (Polanski, 1968) ou le jardin jungle asphyxiant de Soudain l’été dernier (Mankiewicz, 1959) – aux côtés du rose des Malabars et de la pan,thère rose, ou de la nourriture en résine mutlicolore du Japon. Tout repose sur cette dé-hiérarchisation, cette réorganisation des convenances qui laisse une place à l’auteur (combien d’auteurs, dans la haute joaillerie ?)
Il y a chez Victoire de Castellane une envie vengeresse et festive d’être de son époque et d’y entraîner sa discipline : un projet qui avait su me séduire chez les artistes d’avant garde au début des années 90 et qui, d’ailleurs, a toujours animé les artistes d’avant garde. Regarder une discipline, la débarrasser de ses conventions et de ses a priori, l’entraîner plus près de l’époque, l’aider à faire le deuil de ses certitudes – lui offrir de l’air.
Ici les diamants dansent sur la paume de la main comme une rosée, d’autres sont collés aux UV en une pluie aléatoire, les pierres sont serties comme un vitrail pour permettre à la lumière de les traverser, certaines (des opales) sont laissées brutes pour être dévorées par le métal : rien n’est fait comme avant-hier. Des scoubidous de plastique font office de chaînes à des pierres d’exception, l’or jaune ou blanc est recouvert de laque, celle des cadillacs des années 50, laissant à un singulier talent de coloriste le loisir de s’exprimer. Les bijoux sont de format disproportionné – aucune raison de s’excuser d’être riche, même quand le nom du bijou évoque Greenepace – articulés, même, pour certains d’entre eux, comme ces boîtes à secrets ou dormait le poison. Mises au point par des ateliers sollicités autant pour leur savoir faire que leur capacité d’invention, les 17 pièces de la collection de haute joaillerie Belladone Island, laissent avant tout à l’imaginaire de leur auteur le loisir de se déployer – car encore faut-il avoir un imaginaire à la hauteur de ces ambitions.
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