Purple Magazine
— F/W 2007 issue 8

Philippe Parreno

interview OLIVIER ZAHM 
portrait ALEXIS DAHAN

 

The 43-year-old French artist Philippe Parreno incarnates his generation’s Utopian vision of art, breaking the boundaries of the White Cube, blurring the notion of autonomous identity and the specificity of artistic media. He often works in collaboration with other artists, which he terms an “aesthetic of alliances.” Last year he wrote an elegant voice-over text for the video he made in China with artist Rirkrit Tiravanija, Stories Are Propaganda. He is currently working on an opera with 15 of the most creative minds in art today. But he says he’s ready for a change. What’s going on? Is it time for nostalgia?

OLIVIER ZAHM — Tu joues beaucoup sur la difficulté d’identification de ton travail.
PHILLIPE PARRENO — Ce n’est pas vraiment un jeu. J’ai toujours pensé que la forme, c’est d’abord un projet. Sans projet, il n’y a pas de forme. J’ai continué de manière systématique à blurer mon identité.

OLIVIER ZAHM — Pourquoi cette distance qui passe par des collaborations et co-signatures ?
PHILLIPE PARRENO — C’est à chaque fois une manière de me mettre en danger, autant que de générer des idées. Au point que l’on a fini par m’identifier à mes collaborations multiples… Même si je n’ai jamais voulu m’en servir pour cela.

OLIVIER ZAHM —  D’où vient ce désir de travail à deux ou à plusieurs ?
PHILLIPE PARRENO — Dès le départ, quand j’étais étudiant aux Beaux-Arts de Grenoble, on partageait tous, toi aussi, cette idée que l’exposition est le seul et véritable objet. C’était l’exposition qui forme le lien avec le public, plus important que les œuvres elles-même.

OLIVIER ZAHM —  C’était l’expo en tant qu’œuvre qui nous passionnait.
PHILLIPE PARRENO — Oui, souviens-toi des expos de Collins et Milazzo à New York, par exemple. Leurs expositions avec Jeff Koons étaient quelque chose d’absolument sublime pour moi ! On pensait que l’exposition ne devait pas être une addition d’œuvres et d’objets, mais une série de séquences, de mises en espace, un parcours, une expérience. Cela m’a marqué et j’ai continué à penser l’exposition en tant qu’œuvre. Et puis, politiquement, j’avais quand même un problème avec la fabrication d’objets. Je sentais qu’il y avait un truc problématique.

OLIVIER ZAHM —  Etait-ce un refus de l’œuvre d’art comme marchandise et culte de l’objet ? Une nostalgie de l’avant-garde conceptuelle des années 70 ?
PHILLIPE PARRENO — Pas exactement. Je ne partageais pas la dialectique politique des artistes conceptuels des années 70, c’est-à-dire la conviction que l’objet d’art est un vecteur nécessairement bourgeois. Je n’y croyais pas vraiment. En revanche, je pense que l’Histoire de l’art est faite de moments « papillon », c’est-à-dire que l’Histoire des idées et des mouvements est plus importante que celle des productions artistiques.

OLIVIER ZAHM — L’idée d’un mouvement artistique esquissé au début des années 90 a disparu aujourd’hui, au profit de listes de noms et de la seule nouveauté.
PHILLIPE PARRENO — Je pense qu’après nous avoir beaucoup motivés, l’idée d’une vision collective s’est éclipsée doucement à la fin des années 90. Les pratiques se sont individualisées de plus en plus. J’ai travaillé avec Maurizio Cattelan, François Roche, Douglas Gordon, Rirkrit Tiravanija, etc. J’avais le sentiment d’une communauté certes floue, d’une communauté difficilement discernable, mais qui était quand même là d’une manière où d’une autre.

OLIVIER ZAHM —  Vous aviez de vrais échanges, même si ce n’était pas des collaborations officielles.
PHILLIPE PARRENO — Bien sûr… Ces échanges étaient issus autant de l’amitié, de l’amour que des rencontres lors des multiples voyages où l’on se retrouvait, où les idées étaient lancées sur une simple conversation et prenaient forme dans une exposition ou influençaient tel ou tel projet. C’était ça, ma pratique pendant très longtemps.

OLIVIER ZAHM —  Étais-tu à la 6e vraie fausse Biennale des Caraïbes organisé par Maurizio Cattelan ?
PHILLIPE PARRENO — Non, je n’avais pas participé. C’est d’ailleurs à ce moment que j’ai commencé à sentir poindre un problème… À un moment donné, notre génération a commencé à jouer de manipulations stratégiques et moqueuses sans autre véritable perspective que l’impact médiatique au sein du milieu de l’art… Faire une vraie-fausse Biennale ou je ne sais quoi, c’était un méta-langage qui ne m’intéressait plus beaucoup déjà.

OLIVIER ZAHM — Tu renonces à travailler en collaboration à partir de maintenant ?
PHILLIPE PARRENO — Après le film sur Zidane avec Douglas Gordon, et une exposition de groupe au musée d’Irlande, je monte un opéra avec une dizaine d’artistes à Manchester… Après j’arrête, c’est décidé ! Ce sera le point final.

OLIVIER ZAHM —  Est-ce que tu es déçu par ta génération ?
PHILLIPE PARRENO — Ce n’est pas du tout une déception de ma part… Absolument pas ! C’est plutôt le contraire, mais il y a quelque chose de l’ordre de la différence qui m’intéresse de plus en plus. La différence qu’il peut y avoir entre moi et Liam Gillick, par exemple, m’intéresse plus que le fait qu’on puisse faire une pièce ensemble. La dernière œuvre qu’on a fait ensemble, « Brian & Ferry », un petit cartoon, c’est faite très rapidement. On ne s’est même pas vu pour la faire ! Liam était à New York et j’étais à Paris. On en a parlé peut-être dix minutes au téléphone. Le travail à deux se génère vite, parce que la proximité est tellement forte que cela demande finalement peu d’effort. Il me faut passer à autre chose.

OLIVIER ZAHM —  Qu’est-ce qui, selon toi, fait encore le lien entre les artistes de ta génération ?
PHILLIPE PARRENO — Sans doute et toujours l’idée de narration. Quand le cubisme inventait la quatrième dimension pour représenter un objet en l’éclatant, la narration est notre nouvelle perspective. J’en ai parlé avec Matthew Barney : il utilise la vidéo non pour documenter ce qu’il considère comme une sculpture, mais pas pour la narrer. Les premières pièces de Rirkrit Tiravanija étaient impossible à photographier, tu étais obligé d’en faire le récit.

OLIVIER ZAHM —  De ce point de vue collectif, est-ce que ta génération d’artistes, désormais consacrée, de Vanessa Beecroft à Pierre Huyghe, a échoué à inventer d’autres formes d’exposition collective ?
PHILLIPE PARRENO — Sans doute, mais c’est difficile à dire pour moi qui ai une position un peu particulière : je suis le seul à avoir maintenu un travail en collaboration, du moins de manière officielle…

OLIVIER ZAHM —  Vous avez tenté d’en finir avec le White Cube en utilisant d’autres langages (musique, cinéma, science, photographie etc). Là encore, constat d’échec?
PHILLIPE PARRENO — Succès individuel sans doute… Mais en dehors du succès que les uns et les autres ont pu avoir aujourd’hui dans le monde de l’art, il y a un truc qui, peut-être, nous unifie toujours : cette espèce de désir flou ou de quête qui n’est pas très claire, mais qui nous pousse à en sortir, à pousser les limites de notre pratique hors du champ de l’art… Il y a toujours le désir d’un ailleurs. Effectivement, c’est une responsabilité : c’est à notre génération de montrer que c’est possible. Et en faisant le film sur Zidane par exemple, je ne me suis jamais senti autant artiste. À dresser la question du portrait d’un sportif, star mondiale, j’ai pu mesurer ce que l’art contemporain peut produire comme différence.

OLIVIER ZAHM — Mais alors pourquoi arrêter maintenant aprés l’opéra de Manchester ?
PHILLIPE PARRENO — On commence à un peu trop m’associer à cette pratique de collaboration qui n’est pas une fin en soi. On dit : « Oui, Parreno c’est le collaborateur »… Ça a tout de même un côté sympathique (rires)… Je ne me suis jamais levé le matin en me disant : « Je vais établir ma relation à l’art et à la signature à travers des collaborations… ». Je ne l’avais pas formulé comme ça. Encore une fois j’ai eu, dès le départ, cette conscience profonde que l’exposition était l’objet d’art. J’ai réalisé que cela produisait des formes que je n’aurai pas pu prévoir, c’était intéressant pour moi comme pour ceux qui travaillaient avec moi. Aujourd’hui, je veux arrêter avec les collaborations signées ou revendiquées comme telles.

OLIVIER ZAHM — Tu as le sentiment avec le film sur Zidane que les professionels du cinéma et tous les gens impliqués dans sa réalisation, ont compris la démarche ?
PHILLIPE PARRENO — Oui, ils m’ont tous suivi sur la folie du projet comme sur sa réalisation concrète. Et on l’a présenté dans des cadres très différents. De Cannes à certains festivals plus intellectuels, aux Etats-Unis et ailleurs, comme à des gens qui n’ont rien à voir avec le monde de l’art ou avec celui du foot… Et le film a quand même fonctionné. À sa manière abstraite, ce film est radical et il a réussi pourtant à intéresser à une autre échelle que celle de la galerie et du centre d’art. C’est aussi que l’industrie du cinéma est un peu désespérée. Toutes les énergies sont bonnes à prendre… Il y a une demande pour concevoir des films de manière différente. C’est à nous de s’en saisir. Toi comme moi, on a jamais fait de différence entre une œuvre d’art et un film. Jeff Koons est arrivé au même moment que David Lynch et je n’ai jamais fait de hiérarchie entre les deux. Mais effectivement, c’est toujours des déplacements qui sont à opérer, à inventer, à produire. Rien n’est donné. Tout doit encore être expérimenté. C’est cela notre génération. L’insatisfaction. La recherche. Le déplacement.

OLIVIER ZAHM — Tu vas revenir au cinéma ?
PHILLIPE PARRENO — Oui, mais le prochain film sera d’un genre très différent.

OLIVIER ZAHM — Est-ce d’ailleurs toujours du cinéma ?
PHILLIPE PARRENO — Ce que je fais se situe dans un espace interstitiel. Je travaille dans les intersections. Car il y a un espace ouvert, disons un espace à ouvrir, entre le documentaire et la fiction, comme entre la sculpture et l’architecture, entre la photographie et la peinture, etc.

OLIVIER ZAHM — Revenons sur le principe de la collaboration et ton obsession du dédoublement. Au tout début de ton travail tu imitais Jean-Luc Godard. Comment relies-tu cette obsession chez toi du dédoublement de toi-même et ton désir de collaboration?
PHILLIPE PARRENO — Je pense que la pratique artistique a toujours été conversationnelle. Les poètes ont inventé leurs Muses, quand ils n’avaient personne à qui parler. La création a de tout temps été de cet ordre-là… On s’adresse toujours à quelqu’un et, inversement, quelqu’un parle à travers moi.

OLIVIER ZAHM — Pour travailler, tu t’adresses à une personne et une seule ?
PHILLIPE PARRENO — Oui, bien sûr ! Et si quand cette personne est physiquement là, tu t’en sers, tu instrumentalises l’autre d’une certaine manière, autant qu’il t’inspire et que tu le stimules en retour. Il n’y a aucun mal à ça. Si j’ai besoin de quelque chose chez l’autre, je le prends, je le cherche, je le produis.

OLIVIER ZAHM — Ce que tu dis, implique une image de la réalité comme co-existence ?
PHILLIPE PARRENO — Disons que si on définit le réel comme ce qui continue à exister quand tu fermes les yeux : eh bien à deux, c’est très beau de voir un objet éclore dans la conversation, dans le désir partagé. C’est déjà du réel. En tout cas, cela a été très opérant, pendant très longtemps.

Philippe Parreno & Rirkrit Tiravanija, Stories Are Propaganda, Film 35 mm, 2005

OLIVIER ZAHM —  Avec Le Cri ultra-sonic de l’écureuil, tu as fait intervenir sur scène un ventriloque, Ron Lucas qui parle à ta place à travers sa marionnette. Pourquoi ce dédoublement d’identité ?
PHILLIPE PARRENO — Pour créer un monstre bicéphale… Comme on le sait tous, les écureuils poussent des cris non perceptibles par l’oreille humaine. La performance était une manière de statuer sur l’idée de la collaboration, mais sans la théoriser, juste en la mettant en scène en fait. Tout en s’amusant. S’il y a un truc sur lequel j’insiste de plus en plus, c’est de quitter la théorie et d’aller à la mise en scène. C’est-à-dire de mettre en pratique des idées plutôt que de les énoncer.

OLIVIER ZAHM — C’est une thématique aussi lynchienne, le trouble de l’idendité : « qui parle ? ». Dans Lost Highway par exemple…
PHILLIPE PARRENO — Tu parles de la discussion au téléphone, non ? « Je suis chez vous… », qui est un des plus beaux moments de cinéma. C’est un peu aussi ce que j’ai cherché en faisant le portrait de Zidane. Lorsque tu regardes très longtemps le visage d’une personne que tu aimes, tu finis fatalement par te regarder dans un miroir. La relation d’empathie à l’image est aussi basée sur ces échanges de rôles entre le narré, le narrataire et le narrateur. Ce sont des basculements de position fascinants, inquiétants.

OLIVIER ZAHM — Comment est venue l’idée de travailler sur un opéra, intitulé Il Tempo del Postino, qui sera joué cet été pour la première fois à Manchester, puis au Théâtre du Chatelet à Paris ?
PHILLIPE PARRENO — C’est une forme d’hyper-collaboration avec douze artistes : Doug Aitken, Matthew Barney, Carsten Höller, Tacita Dean etc… Avec chacun d’entre eux, je suis obligé de faire ce travail de dialogue, d’édition, de réflexion.

OLIVIER ZAHM — C’est un travail de directeur artistique plus que de metteur en scène ?
PHILLIPE PARRENO — Oui, mais ce n’est pas moi qui signe chacune des pièces. Par contre, je règle l’ordre et le dispositif d’ensemble. Ça s’appelle « Facteur temps ». C’est un texte que j’avais écrit en 1992 sur la relation de temps de vision de l’œuvre d’art : qui décide qu’une exposition durera un mois, un an ou deux ? Pourquoi mettre des vidéos en boucle ? Les artistes se sont toujours appropriés l’espace de présentation de l’art, mais la question du temps, de la durée, reste ouverte.

OLIVIER ZAHM — Est-ce qu’il y a un livret, une histoire qui fait le lien entre les propositions ?
PHILLIPE PARRENO — Non, la situation est très particulière : on est sur une scène ouverte et chacun va proposer un instant. Mon travail consiste à mettre toutes ces propositions ensemble et de voir ce qui est opératique, c’est-à-dire ce qui est musical dans la construction de chaque séquence. Finalement l’opéra, est toujours un voyage allégorique, quelqu’un part et revient… C’est aussi le voyage qui est proposé à un spectateur qui reste assis et qui n’a pas à se déplacer : ce sont les œuvres d’art, les instants d’art, qui viennent à lui plutôt que le contraire. C’était l’intitulé de départ. En parlant avec chaque artiste, les premiers projets sont arrivés et ont influencé les suivants. Le premier, c’est celui de Douglas Gordon, que j’ai commencé à faire circuler pour donner le ton de l’aventure. En fonction de ce que les premiers projets racontaient, les autres ont commencé à agir en fonction.

OLIVIER ZAHM — Est-ce une tentative d’investir le vocabulaire inexploité de l’opéra ou du cabaret ?
PHILLIPE PARRENO — Disons que je réalise une exposition de groupe qui sort de l’espace du musée pour la mettre sur la scène d’un opéra et voir si, a priori, on peut engager ou pas une audience, sans le soutien du pacte en vigueur qui règle la manière dont on regarde une œuvre d’art.

OLIVIER ZAHM — Ce sera donc plus une série de performances qui va engager physiquement des artistes, des acteurs, des musiciens ?
PHILLIPE PARRENO — Exactement. Par exemple le projet de Douglas Gordon : toute la salle s’éteint et entre dans le noir total — même les issues de secours sont cachées — puis on entend une voix a capella et une personne qui marche sur scène. Au moment où la chanson se termine, la scène se rallume et il n’y a personne sur scène. Manière de questionner la présence ou non du chanteur. Après Manchester, on a trois représentations prévues à Paris, à Amsterdam et à Vienne. À chaque fois, Douglas va prendre un chanteur différent. Et ils chanteront tous la même chanson : « Love Will Tear Us Apart » des Joy Division.

OLIVIER ZAHM — Tu vas donner une place plus importante à Matthew Barney ?
PHILLIPE PARRENO — Matthew Barney, c’est la partie la plus développée de l’opéra parce que c’est Matthew… Il aime cet univers du show. Avec lui, ce n’est pas un instant, ce sera plutôt un monde dans lequel tu entres. Ça durera plus longtemps, autour de vingt à vingt-cinq minutes. La musique est écrite par le compositeur des Cremasters. Il y aura des chanteurs, des danseurs, des batteurs et Matthew va apparaître au milieu de ce tumulte. Et puis aussi un buffle avec de très longs poils — un buffle écossais je crois — qui va rentrer sur scène, entouré par ses farandoles de chanteurs et de danseurs.

Philippe Parreno & Rirkrit Tiravanija, Stories Are Propaganda, Film 35 mm, 2005

OLIVIER ZAHM — Et toi qu’est-ce que tu vas faire pour l’opéra ?
PHILLIPE PARRENO — Je vais à utiliser le ventriloque. Au départ quand on entre dans la salle, il y aura sur scène une pièce de Liam Gillick : un grand piano à queue qui va jouer tout seul, un piano blanc avec de la neige noire qui tombe. C’est en fait un piano mécanique qui jouera une musique impossible à jouer par un virtuose : il lui faudrait cinq ou six mains… Pendant que les gens prennent place, il y aura ce piano qui jouera frénétiquement cette musique impossible à jouer. Dès que le public aura fini de s’asseoir, la neige s’arrêtera de tomber et le ventriloque va monter sur scène avec moi. À la place d’un micro, il a une grande loupe devant les deux visages. On pourra voir de loin que sa bouche ne bouge pas alors qu’il parle à l’audience. Je serai le narrateur, le Monsieur Loyal, de l’opéra, qui se charge de l’introduction du spectacle, mais sans jamais ouvrir la bouche.

OLIVIER ZAHM — Est-ce qu’il y a un livret ?
PHILLIPE PARRENO — Un petit « livretto », qui va être designé par Peter Saville. Il y a un casting impressionant et un orchestre symphonique : ça fait du monde… Mais ce qui est agréable maintenant que ça prend un peu plus forme, c’est de voir que chaque proposition des artistes est vraiment une pièce nouvelle.

OLIVIER ZAHM — Que va devenir cette somme de travail avec sa vingtaine de représentations dans le monde ?
PHILLIPE PARRENO — On va faire un documentaire et un livre. Après ces quatre villes, je vais demander à des enfants de rejouer l’opéra. C’est un projet avec le département pédagogique du Guggenheim. On va le faire à Los Angeles avec tous ces « kids » qui vont chanter, faire les costumes. ça va être assez beau que l’exposition de groupe soit rejouée sans les artistes.

OLIVIER ZAHM — L’opéra est une forme traditionnelle qui n’a pas du tout été explorée par les artistes. Mais est-ce possible de la déplacer ?
PHILLIPE PARRENO — Mais je ne cherche pas à renouveler le genre, loin de là ! Ce qui m’intéresse, c’est ce que j’appelle le « facteur temps » et la musique, le voyage sensible, les sensations que ce spectacle pourra produire… Autrement dit, est-ce qu’on va pouvoir sentir des choses qu’on n’aurait pas pu percevoir dans une exposition normale ?

OLIVIER ZAHM — Quel est ton prochain projet ?
PHILLIPE PARRENO — Un film d’animation, image par image. Je veux faire ça avec les créateurs de Wallace & Gromit, le studio Aardman à Bristol.

OLIVIER ZAHM — Tu as conçu des personnages ?
PHILLIPE PARRENO — C’est une comédie et j’ai déjà pensé aux comédiens… A priori ce sera Jamel Debbouze et Eddie Izzard. Un comique français qui dialogue avec un comique anglais… Ils se sont rencontrés à Cannes l’année dernière. Jamel était un grand fan, Eddie ne connaissait pas trop Jamel. Mais bon, si ça marche comme prévu, ça peut être assez beau.

OLIVIER ZAHM — Il y a une histoire ?
PHILLIPE PARRENO — L’idée c’est que ces deux acteurs comiques se parlent sans que tu puisses les voir, mais que leur conversation génère ce qui va s’animer sous tes yeux. Ces deux acteurs vont donc parler ensemble, se raconter des histoires, se faire rire, et des images vont arriver au fil de la conversation. Au début l’écran est noir, tu entends ces voix qui parlent et les premières images apparaîssent. La conversation produit un monde, qui est celui de la comédie dans laquelle les comédiens s’installent par leur simple dialogue. C’est littéralement le rêve d’une conversation qui génère son propre monde, une autre réalité.

OLIVIER ZAHM — Cela va être totalement surréaliste ?
PHILLIPE PARRENO — Au début de chaque épisode l’écran sera noir, et les formes commencent à apparaître au fur et à mesure que la conversation les suscite. Au départ ça peut être très abstrait, et puis c’est comme si tu ajoutais des éléments en fonction de ce qui se dit : une route apparaît, une voiture émerge, un personnage sort… Après, ça peut effectivement devenir de plus en plus fantaisiste, invraisemblable ou surréaliste.

OLIVIER ZAHM — Comment vas-tu procéder ?
PHILLIPE PARRENO — Il y aura une base de dialogue qui sera écrite, puis les comédiens vont improviser dessus. Je commence par enregistrer les dialogues, et on va faire un travail en studio, trouver des évévements comiques, en espérant qu’ils soient nombreux. Ce n’est qu’après qu’on va se demander comment on pourrait mettre ça en image. C’est un rêve de gamin… On va signer les acteurs et puis essayer de commencer l’année prochaine. Ca va prendre au moins un an et demi, pour dix épisodes de quatre minutes chacun. C’est un projet qui aussi coûte très cher, parce que les Studios Aardman sont hors de prix… Après on verra si ça marche côté public, car je voudrais pouvoir impliquer une chaîne de télévision. Je pense à un partenariat avec une chaîne française et une chaîne américaine.

OLIVIER ZAHM — Ce sont les acteurs qui vont produire le récit et lui donner vie, au lieu de le servir et de s’y soumettre.
PHILLIPE PARRENO — C’est une comédie, mais je retourne la caméra : au lieu de filmer les comédiens, elle va enregistrer ce qu’ils se disent. À la fois il y a une base conceptuelle et, en même temps, une tentative d’aller vers un autre type de spectacle. Le pitch est finalement très simple : une conversation comique produit son monde, comme si le langage était le vecteur de l’image.

Philippe Parreno & Rirkrit Tiravanija, Stories Are Propaganda, Film 35 mm, 2005

OLIVIER ZAHM — Parlons de la nostalgie chez toi à travers cette pièce vidéo que tu as réalisé avec Rirkrit Tiravanija, intitulé Stories Are Propaganda. Ce texte est comme un manifeste esthétique que tu aurais mis en image, où tu parles de toi, de ton point de vue, de ce qui te choque aujourd’hui.
PHILLIPE PARRENO — On était en Chine et je me promenais avec Rirkrit dans une future ville en chantier, où rien n’était encore construit. Tout était à l’état de projet et la nature encore présente quoique déjà cartographiée.

OLIVIER ZAHM — Tout va disparaître et un autre monde va sortir de terre, mais il y a des bruissements dans les arbres, des lumières, un lapin, un bonhomme en terre…
PHILLIPE PARRENO — C’est un peu comme si la personne qui lit le texte dans la vidéo, était le gamin que j’étais à douze ans, qui reviendrait aujourd’hui et qui regardait ce qui s’est passé depuis… C’est ce qu’avait essayé de faire, dans ce roman Douglas Coupland, « Girlfriend in a Coma » : l’histoire de cette fille qui, dans les années 80, tombe dans le coma et se reveille vingt ans plus tard, avec la même conscience que lorsqu’elle avait seize, dix-sept ans. Quand elle se réveille, elle voit tous ses amis de l’époque qui ont vieilli, physiquement, mais aussi dans leur manière de regarder les choses. Alors elle les juge, nécessairement du point de vue qui est le sien, celui d’une adolescente qui serait resté vingt ans parfaitement fidèle à ses convictions…

OLIVIER ZAHM — Quelle est la place de l’art contemporain face aux grandes machines à propagande et à endormissement public ?
PHILLIPE PARRENO — Oui, la machine hollywoodienne et télévisuelle déverse des histoires de plus en plus crétines. Mais je suis assez optimiste, il n’y a pas de raison de s’arrêter en chemin et de ne pas continuer à sortir du territoire de l’art pour venir perturber le jeu. Si on fait ce mouvement-là, je pense que beaucoup de portes peuvent s’ouvrir. L’idée n’est pas de devenir cinéaste. Je continue mon travail d’artiste. Mais il y a des territoires vierges et des espaces interstitiels qui sont à explorer.

 

STORIES ARE PROPAGANDA

This is a journey through an infinite urban landscape. A series of banners setting up fragments of a parallel world, a feeling of suburbia. A series of scenes, data, like the radiation emitted by radioactive substances measured by the Geiger counter. Information that glows before fading away.

An inverted cinema made of scenes edited on a time protocol. A reading experience anyone can enjoy by turning the page of a magazine, hanging around or driving through a city.

Each scene refers to recent events, facts or stochastic situations. These scenes are like ghosts…. They come back in different forms. It’s not that they can’t survive their representation; it’s more that they just don’t want to go away. They suffer from a lack of finality. They have not accomplished their task, they are leaving something incomplete. Must they be treated, destroyed, or incarnated?

I used to believe that the smell of freshly cut grass was a seasonal smell. Autumn was the season during which trees lost their leaves, and winter came with Christmas gifts and sometimes snow. The season of freshly cut grass simply worked on a shorter cycle, more frequent than the others.

History is made of clouds of stories, stories which are told, invented, heard, and acted out. A people does not exist as a subject, it is an ensemble of billions of futile little stories which sometimes agglutinate to the point of becoming great narratives, and sometimes dissipate into vagrant elements, but which generally do stay fairly close together to form what is called the culture of a civil society.

Fireflies started to dissapear from Europe in the 1950s. Their dissapearance was associated with that of various ideologies. When people stopped believing in the same thing, fireflies dissapeared. Just like the creatures from Fantasia, nothingness conquered them.

Why did i think that melancholy was somehow an appropriate feeling? I mean appropriate in a way that some tools are more appropriate than others when you have to find a solution to a problem. Film noir is somehow relevant. You know this typical film noir that opens with a long scene, no dialogue, where the villain played by Alain Delon lies on his bed endlessly smoking cigarettes. The characters develops a unique relationship with time and history, but that’s another issue. The melancholic is a peculiar person who has an object of desire but lost the desire itself. That is to say, he lost that which makes him desire the desired object: the object-cause-of-your-desire which is never the desired object.

Growing up in grenoble in the 70s really should have prevented me from becoming a visual artist. The coolest thing to do was make movies or work for any of the cool non-governmental organizations. With a working class background, I was lucky to have hippy, radical, leftist, Maoist, Trotskyite teachers I enjoyed being with, until they became moralistic and started wagging their index fingers at me.

The point is that we have a dark fascination for testing the limits of any given system, even while knowing that there is often, or always, a breaking point. Think of voters testing the elasticity of our state democracy.

We should call the Other: Mordor like in The Lord of the Rings. The Other is the one who knows what you know, which is a dialectical problem that is kind of hard to deal with.

The other is the one who has a nice penthouse on the Death Star.

No, the idealized other is the one who dances fascinating dances and has an ecologically sound holistic approach to reality in an ecotouristic kind of way, while features like wife beating remain out of sight.

People have been concerned with finding their place in a physical, political or social space for a long time. For example, all of Velasquez’s paintings are concerned with spatial problems. Space was like glue. Our problems are different now. They date back to 1972, the year the last few radical architecture groups disappeared and Spielberg, Lukas, Scorsese, and Coppola took over Hollywood. Some could precisely date it at 3:32 pm on July 15, 1972 when the Pruit-Igo housing development was blasted in St Louis, Missouri. It had been a prize-winning example of the clean-lined, boxy, international style of architecture and what architects called “machines for living”. By 1972 it was considered a failure. People hated it and the city declared it uninhabitable. The same year Robert Venturi declared that most people’s ideas were closer to Disneyland or Las Vegas than to a modern glass-box apartment.

It’s hard to think about the present because the past always glows.

In the good old days before cappuccino and sushi and ruccola went global. Well before red peppers spiced up our salads. Before adventure became a sport, and nature became a spot. In the good old days the Paris metro smelled like cigarettes and lofts were reserved for only the New York elite. Before seat belts beeped when they weren’t fastened and spies really did come in from the cold. Before cell phone conversations were banned on trains. Before googling became an aspect of human behavior. In the good old days when every second person was not a hero and every third was not a victim and every fourth was not stressed. Before we had an identity on line. Before toll-free numbers were delocalized and sent to Africa or India. Before the idea of a preemptive war existed. Before we thought there would never be any billionaires in Moscow. Before beach volleyball and snowboarding became Olympic sports. Before fusion cooking and before liquid nitrogen was used to make ice cream. Before you could get an espresso in Hamburg or Milwaukee. When Thai food was exotic and cholesterol a curious word only used for Scrabble games. In the good old days when people walked on the moon and snow covered London for weeks during Christmas time. No, it’s too far away, I don’t remember all that. It never happened.

A time when things were not weird, but strange, and then they were really strange. A David Lynch kind of strangeness. In those disconnected days before Blackberries and SPVs. Before voicemail became the interlocutors in our lives. Before Jeff Godlum appeared on the screen. What a great actor. Before the Euro and before a wall was erected in Israel. Before democracy and free market became the only alternative. When New Zealand was not yet known as the set of The Lord of The Rings. Before people started using “like” to make similes about anything and everything. Before Shrek appeared on screen and everyone loved him because like us, he doesn’t understand metaphors. When you could smoke in bars in New York and Los Angeles. Before the Bush Dynasty. When Schwarzenegger was the Terminator and not a governor. Before iPods, eBay, Viagra and spell check. Before Western architects were lining up to build towers in China. Before people started ordering salads at McDonald’s. Before music became our soundtrack. Before clothing became a costume. Before we started looking at the world as a standing stock of material. Before the word “tree” did not mean “wood.”

— text by Philippe Parreno

[Table of contents]

F/W 2007 issue 8

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