Purple Travel

[July 27 2011]

TUNISIE, APRES #7 – UNE CHRONIQUE DE MEHDI BELHAJ KACEM

Arrivée à Sidi Bouzid, au centre de la Tunisie.

Fors les Disneyland touristiques, c’est partout pareil en fait. En discutant dans le quartier de la Goulette à Tunis avec un vendeur à l’étalage qui s’étonnait de mes incongrus choix photographiques, comme tous les Tunisiens, il tomba d’accord avec moi qu’il n’y avait pas moins de misère au cœur même de Tunis qu’en « Tunisie profonde », celle d’où partit la Révolution. L’extrême minorité des riches se concentre au nord, c’est un fait. Mais tout est pareil partout, je le sais à l’avance, avant même d’avoir mis les pieds à Sfax, à Gafsa, et plus au sud encore, là où affluent les réfugiés libyens. « Ironie » : une grosse partie du pétrole d’ici vient de Libye. « La Tunisie est la pute du monde arabe », dira Mouammar Kadhafi au lendemain du 14 janvier.

Pour les Sidi Bouzidis, la Révolution a commencé le 17 décembre 2010. Peut-être même grâce à elle : il se passe enfin quelque chose, ici ou il ne se passe rien – imaginaire western encore. On voit qu’ils sont contents, fiers, malgré l’atmosphère tendue, dangereuse – un gamin de quatorze ans s’est fait abattre il y a quelques jours par la police ou l’armée. Même les vieux se délectent des émeutes, des affrontements, des coups de feu, en fumant leurs chichas. Comme l’a dit le psychanalyste tunisien Fethi Benslama dans un texte que j’ai lu dans le bus, la dimension de jeu est évidente dans le rapport qu’entretiennent désormais les peuples à l’insurrection. On joue avec le feu, littéralement, pour tuer le désœuvrement partout triomphant.

Les Sidi Bouzidis sont avenants. Et les jeunes filles encore plus mutines qu’ailleurs, même avec leur voile. Ce n’est qu’une mode, ce voile, je l’ai toujours dit. Quand on pense, qu’il y a vingt ans pas une seule jeune femme tunisienne ne portait cette chose…

Les photos. Cinéma : « Les oiseaux » de Hitchcock sur des câbles électriques. Mais surtout, un moment Lynchien, voire Shamalayanien. Je vais photographier l’endroit exact où Mohamed Bouazizi s’est immolé. Je photographie mes pieds à l’endroit même. Mais la photo qui sera réussie, involontairement, sera un peu plus loin : je prends une voiture noire qui passe, quand elle est en plein centre de l’objectif, c’est-à-dire à l’endroit exact où Bouazizi a pris feu. Je regarde le résultat : the black car disappeared. A la place, une double traînée lumineuse, comme les mânes de Bouazizi. Je sais que je vais m’en tenir là, que c’est un avertissement.

22h. Mauvaise surprise : le couvre-feu est toujours en vigueur ici. Je rentre à l’hôtel. « Bière ? » Bière sans alcool. Tiède… je commande des Cocas bien frais à la place (mal aux dents le lendemain, trop de sucre). Seconde mauvaise surprise : on est un samedi, mariages partout. En particulier juste au-dessus de ma chambre, ils ne m’ont pas prévenu… Règle d’or en Tunisie, ne jamais oublier ses boules Quiès. Dans tout le pays, sauf un peu à Tunis, on entend les chiens toute la nuit, premièrement, et deuxièmement l’été il y a des mariages tonitruants partout. Anamnèses des nuits blanches de l’enfance, de l’adolescence.

Bouazizi’s ghost.

Photo and text Mehdi Belhaj Kacem

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