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[July 21 2011]

TUNISIE, APRES #4 – UNE CHRONIQUE DE MEHDI BELHAJ KACEM

Les Tunisiens ont évité la guerre civile parce que le pays, petit, créé une homogénéité et une solidarité exceptionnelle de la population civile. Du dedans, ils ne s’en rendent pas compte. Il faut un peu être dehors. Bref: les Tunisiens n’ont pas besoin de se dire « communistes » pour être communistes. Non seulement ils ont évité la guerre civile, mais ils arrivent (presque) à se passer d’Etat, sans en être conscients. Ils se rendront peut être compte après coup.

Je vais shooter dans Tunis, dans le quartier de La Goulette cette fois. Comme à Nabeul, les tunisiens sont surpris et secrètement ravis de passer leur premier été « entre eux ». Comment faire venir les étrangers autrement que touristiquement ? Ca sera une des questions cruciales.

Adolescent j’ai souffert de l’absence d’individualisme dans la société tunisienne. C’est ce que j’aime chez les chats : leur égoïsme intelligent. Ceux qui appellent au « communisme » en jouissant de toutes les prérogatives de l’individualisme occidental rêvent, en prétendant le contraire, à une société archaïque. L’humanité a d’abord été « communiste », par la violence du travail forcé (pléonasme). Comme le dit Hegel, la liberté individuelle est une acquisition très tardive de l’aventure humaine. « Communisme » : collectivité des moyens de production, liberté individuelle totale. Voilà ce qu’il nous faut. Surtout à l’époque où le communisme est subsumé par le compte à rebours écolo. Ici, avec les ordures partout et d’abord aux pieds des « estivaliers » autochtones (voir photos…), ça saute à la figure comme un blob, normal que je ne puisse m’empêcher de shooter ce qui est partout. 

Pourquoi avoir envie de photographier tous ces chantiers, ces objets usés-bricolés, ces déchets ? Non pas pour donner l’image d’une Tunisie en ruine. Parce que la Tunisie a toujours été comme ça. Celle de chaque jour de mon enfance, je dis bien chaque jour! Et je m’aperçois, à mesure que je « dompte » la bête photographique, que je fais une auto-analyse par mes choix photographiques. Discussion avec un vendeur à l’étalage tendue d’abord, sympathique ensuite : tous les Tunisiens étonnés de ce que je choisis de photographier, mais lui le premier à oser me demander. Il comprend: aimer son pays, aimer la vérité. Plus jamais de cartes postales. Ces déchets, ces chantiers, ces estropiés, sont à mes yeux évidents, et, j’ose le mot obscène : beaux. Longtemps j’ai été culpabilisé du côté « chantier perpétuel » de mon travail, comme de ma personne. Alain Badiou, un jour : « vous laissez tout traîner ». Désormais je comprends, et j’en suis fier. Eisterzunde Neubaten, mais à l’envers. Je ressemble à là d’où je viens, c’est tout! Plus de finition dans l’inachevé que dans le « monumental » accompli. Pour le monumental, il y a les hôtels touristiques cinq étoiles pour ça, fabriqués avec le fric blanchi de la mafia russe.

Dîner avec un ami cinéaste. Super sympa. Fini tard. Deux heures. Je rentre à l’hôtel ? Trop cher ceux qui sont ici, les estropiés ont pris toutes les chambres… belle étoile à la plage. Voir la lumière de l’aube.

Photo and text Mehdi Belhaj Kacem

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