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[August 14 2011]

CHRONIQUE TUNISIENNE #9 PAR MEHDI BELHAJ KACEM

On vient avec l’intention de raconter quelque chose, et c’est les
choses qui finissent par vous raconter. On prend la route avec un plan
bien défini, et on retrouve les vertus de la dérive, qui trace un
parcours beaucoup plus implacable que celui auquel vous aviez pensé.
L’inconscient, et donc les rêves, ne mentent jamais. Je ne me souviens
des rêves que tous les trois ou six mois. Chaque fois ma vie change, j’y
vois plus clair. Ca me sera arrivé ici, et en mars dernier, et hier soir. Rien n’est plus pareil. En parler un jour.
Le
cinéma commence où s’arrête la photo. C’est-à-dire, par soustraction,
l’inverse. La littérature commence où le blog s’arrête -philosophie
comprise, qui n’est qu’une forme de littérature-. Il me faudrait six
mois pour raconter le mois que je viens de passer, furtif séjour, miette
de temps. Trop de photos à prendre, partout, de choses à dire, sur
tout. Et il me faudrait au moins six mois ici pour parler de la Tunisie.
Pour l’instant, je ne suis que « L’étranger » à l’envers.
L’expérience
s’apprête donc à tourner court, mais comme le script du film à
réaliser, dont le choix blog-photos ne donne que les pointillés. C’est
le meilleur moment du voyage qui commence à finir.
Dire le désert
absolu des villes tunisiennes « profondes » entre 18h30 et 20h, au
moment de la rupture du jeûne, le no man’s land partout. Enfant, j’étais
« protégé » du ramadan, je rentrais chez moi et mangeais, je
n’assistais pas. Avouer qu’en plus de l’allégresse normale de l’été, le
noctambulisme sobre des « fidèles » dont la vie commence à dix heures du
soir, et la part faite de la terrible anxiété amenée par la période
actuelle, la révolution à amené aux tunisiens la décontraction, un
bonheur rare d’être ensemble, sans le surmoi de la paranoïa
dictatoriale.
Dire que c’est de la Tunisie que tu tiens ton motif du
désœuvrement, qui est beaucoup plus encore que le site socio-politique
dont toutes les insurrections actuelles procèdent, et celle-là plus
qu’une autre ; qu’elle est une manière de vivre et d’être, qu’elle est
dans ton sang, et que tu la tiens d’ici.
Dire que les femmes ont au
moins une excellente raison de se convertir au voile, qui est que ce
dernier les prémunit de l’agressivité stupide du machisme touansi
courant. Démolir de plus belle la bêtise mâle, en général, à commencer
par les reliquats de la tienne.
Dire pourtant ta haine, contre les
complaisances du gauchisme abstrait, de l’archaïsme religieux. Redire ta
haine contre tout positivisme a priorique de la communauté.
Dialectiser, plus encore qu’avant.
Redire que tu n’auras rien dit,
seulement entre-dit, annoncé. Qu’il est impossible dans un blog-photos
de dire-montrer le millième de ce qu’il y aurait à. La bande-annonce
n’est pas le film. Mais peut-être qu’un jour la bande-annonce elle-même
sera-t-elle tenue pour un art.
Toujours le dialogue du film de Godard
: « -Qu’est-ce que la vérité ? –C’est entre apparaître et disparaître.
–Alors, c’est transparaître ? »

Photo and text Mehdi Belhaj Kacem

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